L’américaine Brené Brown (1965-) est professeure et chercheure en sciences sociales. Dans Le pouvoir de la vulnérabilité, elle relate ses réflexions issues de ses recherches et des nombreux entretiens qu’elle a menés pendant 10 ans sur la vulnérabilité. Les extraits ici choisis sont tirés de la libre traduction de l’auteure de ce blog, qui ayant acquis le livre dans sa version anglaise originale, n’a pas investi dans la version française et présente d’ores-et-déjà ses excuses aux traducteur et éditeur français. Brené Brown définit la vulnérabilité comme le cœur de toutes les émotions :
« La vulnérabilité n’est pas bien ou mal : ça n’est pas une émotion mauvaise, ni positive d’ailleurs. En fait, la vulnérabilité est le cœur de toutes les émotions et sentiments. Ressentir, c’est être vulnérable. Penser que la vulnérabilité est une faiblesse, c’est croire que ressentir est une faiblesse. Renfermer notre vie émotionnelle par peur que le prix sera trop élevé, c’est s’éloigner de cette chose exacte qui donne du sens à nos vies. » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
Dans son TED Talk datant de 2010, Brené Brown explique encore que la vulnérabilité est le courage d’être imparfaits :
« Le courage, la définition originelle du courage, lorsque ce mot est apparu dans la langue anglaise vient du latin « cor », qui signifie « cœur » et sa définition originelle était : raconter qui nous sommes de tout notre cœur. Ainsi, ces gens avaient, très simplement, le courage d’être imparfaits » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
Mais alors qu’il lui est d’abord apparu évident que la vulnérabilité trouvait ses sources dans des moments de peine ou de déception, Brené Brown a été surprise tout au long des entretiens menés de constater comment la joie pour beaucoup d’entre nous, encore plus que la honte, constitue un moment intense de vulnérabilité :
« Quand j’ai commencé à demander aux participants les expériences qui les avaient laissés les plus vulnérables, je ne m’attendais pas à ce que la joie soit l’une de ces réponses. Je m’attendais à la peur et la honte, mais pas les moments les plus heureux de nos vies. J’étais choquée d’entendre les gens dire qu’ils se sentaient le plus vulnérables quand :
je regarde mes enfants dormir je réalise à quel point j’aime ma femme/mon mari j’aime mon travail je passe du temps avec ma famille j’observe mes parents avec mes enfants je pense à ma relation avec ma petite-amie/mon petit-ami je me fiance je suis en rémission d’une grave maladie je deviens parent je suis promu je suis heureux je tombe amoureux. » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
C’est ce que Brené Brown appelle des « pressentiments » : « On se réveille le matin et on pense : « Le travail se passe bien. Toute la famille est en bonne santé. Aucune crise majeure à l’horizon. La maison tient debout. Je fais de l’exercice et je me sens bien : Oh, zut. C’est mauvais, c’est vraiment très mauvais, un désastre va sûrement arriver ! ». Elle explique comment ces moments de joie nous laissent tout d’un coup comme sans défenses :
« La peur ou le manque peuvent induire un pressentiment. Nous avons peur que le sentiment de joie ne perdure pas, ou que nous ne soyons pas à la hauteur de celle-ci, ou encore que la déception (ou quoi que ce soit qui nous attende ensuite) sera difficile à supporter. Nous avons appris que s’abandonner dans le bonheur sera, au mieux, source de déception et, au pire, une invitation au désastre. Et on se demande si on la mérite. Est-ce qu’on mérite toute cette joie étant données nos imperfections et nos faiblesses ? » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
Mais alors que Brené Brown constate que le bonheur peut nous laisser désarmé autant que les événements les plus sombres de nos vies, elle nous donne une « astuce » pour nous tirer de ce marasme émotionnel et profiter de ces instants de joie pleinement : c’est la pratique de gratitude et de la reconnaissance.
« Si l’opposé du manque est assez, alors pratiquer la gratitude est notre moyen de reconnaître que nous sommes assez, que c’est assez. » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
Des participants de son étude de recherche, Brené Brown tire trois leçons, trois pratiques très concrètes de la gratitude. Car, selon Brown, il ne suffit pas de ressentir de la gratitude ou d’être reconnaissant et de regarder ainsi passer le sentiment, il s’agit de les pratiquer comme des exercices.
« 1. Le bonheur est fait de moments ordinaires. Nous risquons de passer à côté du bonheur quand nous sommes trop pressés à chasser l’extraordinaire. La culture environnante du manque peut nous conduire à avoir peur de vivre trop « petit », d’avoir des vies trop ordinaires. […] Sans exception, les participants qui ont parlé de leurs plus grandes tragédies, et de ce qui leur manquaient le plus, parlaient de moments ordinaires : « Si seulement je pouvais descendre les escaliers et voir mon mari assis à la table pester contre les informations », […] « Ma mère m’envoyait des textos complètement dingues, elle ne savait jamais comment utiliser son téléphone. Je donnerais n’importe quoi pour recevoir encore un de ses messages. » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
La deuxième pratique de la gratitude :
« 2. Soyez reconnaissants de ce que vous avez. Quand j’ai demandé aux gens qui avaient survécu à des tragédies comment nous pouvions cultiver et montrer plus de compassions pour les gens qui souffrent, la réponse était toujours la même : n’effacez pas le bonheur d’être avec votre enfant parce que j’ai perdu le mien. Ne prenez pas ce que vous avez pour acquis – célébrez-le. Soyez reconnaissants de ce que vous avez et partagez votre gratitude avec les autres. […] Quand vous honorez ce que vous avez, vous honorez ce que j’ai perdu. » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
Et, enfin, troisième leçon :
« 3. Ne gâchez pas votre bonheur. Nous ne pouvons pas nous préparez à la tragédie ou à la perte. […] Mais, à chaque fois, que nous nous autorisons à être heureux et à profiter de ces moments, nous construisons notre propre résilience et nous cultivons de l’espoir. Le bonheur fait alors partie de ce que nous sommes, et quand de moins bonnes choses arrivent – et elles arrivent – nous sommes plus forts. » – Brené Brown, Le pouvoir de la vulnérabilité
Passons à Roland Barthes (1915-1980) un court instant. Dans le chapitre « Agony » de ses Fragments d’un discours amoureux, il explique que plutôt que le bonheur et la peur de ce dernier, parfois, la crainte qui nous submerge est celle de ce qui a déjà été vécu et n’est donc plus à vivre. Roland Barthes cite le psychanalyste anglais D.W. Winnicott (1896-1971) dans La crainte de l’effondrement :
« Mais la crainte clinique de l’effondrement est la crainte d’un effondrement qui a été déjà éprouvé (primitive agony) […] et il y a des moments où un patient a besoin qu’on lui dise que l’effondrement dont la crainte ruine sa vie a déjà eu lieu. » – Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux
Sur le même sujet de l’appréciation des choses de la vie, il est possible de relire l’article de L ‘ I N C O L O R E concernant Roland Barthes et la surprenante beauté de discourir du temps qu’il fait.
Les œuvres mentionnées dans cet article :
- Le pouvoir de la vulnérabilité, Brené Brown
- Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes
- La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, D.W. Winnicott
Et, pour une introduction au concept de vulnérabilité par Brené Brown, regardez le TED Talk de juin 2010 à Houston qui couvre en partie le traitement du livre (sous-titrages français disponibles ici) :